Armand Robin : la fausse parole textes préparatoires : Comment un métier me prit (Revue 84 - 03/1950) |
Comment un Métier me Prit Bien que mainte circonstance ait paru agir, seuls des mouvements intérieurs m'ont mené peu à peu à vivre courbé sous les émissions de radios en langues dites étrangères, mon métier me prit, lambeau d'âme après lambeau d'âme, plutôt que je ne le pris. A l'origine, mes jours indiciblement douloureux en Russie. Là-bas je vis les tueurs de pauvres au pouvoir; le fortuné y assassinait savamment le malheureux ; à Moscou, pour la première fois, j'aperçus des capitalistes banquetant. Ici revenu, je me retins là-bas. Muet, ratatiné, hagard au souvenir du massacre des prolétaires, je me serrai loin de tout regard près de chaque ouvrier russe tué en vue d'accroître le pouvoir de l'argent. Par sympathie pour ces millions et millions de victimes, la langue russe devint ma langue natale. Tel un plus fort vouloir dans mon vouloir, besoin me vint d'écouter tous les jours les radios soviétiques : par les insolences des bourreaux du moins restai-je ainsi lié, retournant les paroles, aux cris des torturés. Si terrifiants ces cris qu'ils me jetèrent hors moi devant moi. moi contre moi. Je mendiai en tout lieu non-lieu. Je me traduisis. Trente poètes en langues de tous pays prirent ma tête pour auberge. Je m'embuissonnai de chinois pour mieux m'interdire tout retour chez moi. Le monde extérieur m'aida quelque peu: il me haït, me calomnia, me travestit. Hélas ! parfois aussi, comme pour me décourager, il me louangea. Puis je cessai de dormir. L'extrême lassitude fut mon opium, mon Léthé, mes alcools. L'épouse fatigue m'accompagna partout, lourde en mes bras. Aujourd'hui encore je n'ai pas renoncé à me perdre ; je me flatte toujours d'être partout où je ne vis pas. Mais un destin malin, je le sais maintenant, a travaillé contre mes désirs; une activité professionnelle m'a happé. Un lieu m'a.
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Le texte ci-dessus est une version préparatoire du 2e texte de La Fausse Parole, sous le titre Un lieu m'a