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Armand Robin : la poésie

 avant et autour de Ma Vie Sans Moi 

L'invité des prés 1939

                  

L’invité des prés  - version envoyée à Jean Paulhan en 1939

 

 

Moi, l'invité des prés, je ne sais plus ce qu'est l'été

Et la fourche sanglante qu'est mon chant m'a pénétré,

M'a secoué, m'a rejeté, c'est moi, l'ivraie

Qui dois pleurer très loin du blé que vous aimez,

Qui me fane très loin du Robin que vous glanez.

C'est moi qui suis avec vos ronces à la lisière de vos champs

Et même les chevaux ne peuvent plus me consoler

Quand je trempe ma tête dans l'abreuvoir glacé du temps.

Sur les collines que l'ombre affine en touffes d'attente

J'ai besoin de la prière craquelante des genêts !

Et toi, soleil, soleil, tueur rieur, vermeil, des soirs trop lents,

Ravis ma vie : plus balafré qu'un ciel victime, je voudrais

Crouler dans ton sommeil de sang

 

Si tu le peux, ma tête, dors sur ton nouveau chant !

Il n’y aura pas  de nuit cette nuit : tous les instants

Brillent, brasillent sur ma broussaille sans mousse de tourments.

 

Sur les blessures que les montagnes clament aux quatre vents

Se pose le baume rosé, oscillant du couchant :      

L’éternité fredonne un vol de scarabée,

Toute forêt se voûte sous la rosée, sous la bonté,

Aux fontaines se déride un ciel en peine

Et l'herbe se décide à l'embrasser !

Pour la lune les oiseaux haussent le nid de leur silence   

Et déjà d'arbre en arbre s’attache la tente où se repose

L'espace immense qu'allonge encore la nuit muette.

Il s'élève en tout mal presque une indifférence

Et la Terre se fait si simple que la sérénité

Pousse en tige pensive auprès de la Beauté.

 

Oh !  toi venu du peuple avec le fouet des mots,

Toi qui mènes sans rien craindre la charrette de ta mort,

Martelé de lueurs jusqu'au destin d'un vers,

Dors en brisant sans bruit l'enclos de l'éphémère !

 

Des arbres, quatre champs et la plaine des astres

Boivent contre mon front la fraîcheur d'être calmes

Et purs devant le monde argenté, dépouillé ;

Le bruit si dru des boeufs semble en vain disparaître,

Tant d’herbe a su garder l'apparence de le brouter!

Le réel devant l'âme s'écarte sans s'agiter,

L'inaltérable éclat des pleurs dissimulés

M’illumine tout l'espace en temple taciturne

Où même un cri de Dieu ne serait qu'un murmure.

Un seul sanglot mortel encore et mes chants en dansant

Sur les cordes vacillantes, vigilantes de la souffrance,

Secoueront de plaisir l'assistance campagnarde des étoiles…

 

Et dans le ciel très haut à la droite du Christ,

Triste malgré les eaux, les taureaux, les taillis,

Aussi tendre que les vents qui chérirent son suicide,

Caressant toute ma Bretagne comme une herbe de sa Russie

Essénine giclant de sang impie m'assiste.

 

 


 

Armand Robin,

 

     Poésie personnelle
          Ma Vie Sans moi