Lorsque les chroniques de Combat s'arrêtent en mai 1948, Armand Robin n'en a pas fini pour autant avec la réflexion sur le métier d'écouteur de radios qu'il dit avoir inventé. S'il n'a sans doute pas inventé le métier, il est toutefois le premier à proposer une réflexion sur cette activité, et surtout sur le but profond de son activité : dénoncer les propagandes. On peut continuer à suivre son cheminement dans diverses revues, notamment La Revue de Paris, 84, Preuves... Voici ces textes dans les versions préparatoires à la publication en volume :
titre | Revue / date de publication | publication ultérieure | référence dans La fausse Parole |
Vacances | Comoedia 12/09/1942 | Ecrits Oubliés I, 1986 | Vacances |
Vacances | 84 03/1950 | Vacances | |
la
radio internationale ou le silence totalitaire |
Le Libertaire 19/04/1946 | Ecrits oubliés
I, 1986 Le Combat Libertaire, 2009 |
non repris dans la Fausse Parole |
Moscou à la radio | Revue de Paris 04/1949 | inédit dans cette version | Au-delà du
mensonge et de la vérité Moscou à la radio |
Comment un métier me prit | 84 03/1950 | Plein Chant Armand Robin 1979 | Un lieu m'a |
La mise à mort du verbe | 84 09/1950 | Plein Chant Armand Robin 1979 | Outre écoute I les éperviers mentaux |
Outre écoute | 84 10/1950 | Outre écoute I et II | |
Le peuple des télécommandés | Preuves 12/1953 | Le peuple des télécommandés | |
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Autres textes de la même mouvance et postérieurs à La Fausse Parole | |||
Outre écoute 1955 | Monde nouveau 10/1955 | Ecrits Oubliés I, 1986 - La fausse parole, éd le temps qu'il fait, 2002 | |
Outre écoute_1957 | Nouvelle nrf 04/1957 | Les Cahiers Bleus, 1980 - La fausse parole, éd le temps qu'il fait, 2002 |
Cela aboutit très logiquement à la publication de La Fausse Parole en 1953, aux Editions de Minuit, puis d'Outre-Ecoute 1955 qui paraîtra dans la revue Monde Nouveau en 1955, et enfin d'Outre-Ecoute (Nnrf), qui paraîtra en 1957.
Le prière
d'insérer exprime très
bien la démarche de l'auteur :
Armand Robin a inventé un métier qu'on
exerce chez soi et grâce
auquel on peut être transporté sur tous les points du monde où
on parle.
Frais d'installation : un poste de radio.
Connaisances exigées : une quinzaine de langues vivantes.
Il consigne ses notes d'écoute dans un petit bulletin d'information.
La fausse parole est le journal d'un journal, qui n'est évidemment pas destiné aux lecteurs du bulletin. Propagande en tous genres, mécanique du mensonge, guerre psychologique sont implacablement dénoncées. Dénoncées par un poète qui sait ce que parler veut dire, et qui réinvente, dans une langue connue de lui seul, le vrai usage de la parole.
UN LIEU M'A
Bien que mainte circonstance ait paru agir, seuls des mouvements intérieurs m'ont mené peu à peu à vivre courbé sous les émissions de radios en langues dites étrangères. Ce métier me prit, lambeau d'âme après lambeau d'âme, plutôt que je ne le pris.
A l'origine, mes jours indiciblement douloureux en Russie. Là-bas, je vis les tueurs de pauvres au pouvoir; le fortuné y assassinait savamment le malheureux en le contraignant à proclamer l'instant d'avant sa mort : «Toi, toi seul, tu es pour les malheureux ! » A Moscou, pour la première fois, j'entrevis des capitalistes banquetant.
Ici revenu, je me retins là-bas. Muet, ratatiné, hagard au souvenir du massacre des prolétaires par les bourgeois bolcheviks, je me serrai loin de tout regard auprès de chaque ouvrier russe tué en vue d'accroître le pouvoir de l'argent. Par sympathie pour ces millions et millions de victimes, la langue russe devint ma langue natale.
Tel un plus fort vouloir dans mon vouloir, besoin me vint d'écouter tous les jours les radios soviétiques : par les insolences des bourreaux du moins restai-je lié, traversant les paroles et comme les entendant sur leur autre versant, aux cris des torturés.
Si terrifiants ces cris qu'ils me jetèrent hors de moi, devant moi, contre moi. Ils me tiendront en cet état tout le temps que je vivrai.
Je mendiai en tout lieu non-lieu. Je me traduisis. Trente poètes en langues de tous les pays prirent ma tête pour auberge. Je m'embuissonnai de chinois pour mieux m'interdire tout retour vers moi.
Le monde extérieur m'aida quelque peu: il me haït, me calomnia, me travestit. Hélas! parfois aussi, comme pour me décourager, il me louangea.
Puis je cessai de dormir; l'extrême lassitude fut mon opium, mon Léthé, mes alcools; l'épouse fatigue m'accompagna partout, lourde en mes bras.
Aujourd'hui encore, toujours souffrant du choc reçu là-bas, je n'ai pas renoncé à me perdre, à être partout où je ne vis pas. Mais un destin malin a travaillé contre ma volonté : une activité professionnelle m'a happé.
Un lieu m'a.
Armand Robin, La Fausse Parole
La Fausse Parole, suivi de Outre-écoute 1955 et de Outre-écoute (Nnrf 1957), livre essentiel pour la compréhension de l'oeuvre et du parcours de Robin, est publié par Georges Monti aux éditions Le Temps qu'il fait, Cognac, avec préface, postface et notes de Françoise Morvan. Le volume contient en outre la reproduction de deux bulletins d'écoute. Il existe une version en italien, la falsa parola et alte scritti, ed l'affranchi, 1995, et une autre en espagnol, la falsa palabra, pepitas de calabazza, éditeur, 2007