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Armand Robin : la fausse parole

textes préparatoires et complémentaires : Outre-écoute [1957]

 


 Depuis 1940, avec une constante indifférence aux partis et aux régimes, Armand Robin décrit, pour des lecteurs en nombre aussi restreint qu’il peut, les vacarmes radiophoniques en langues étrangères. Parfois il est pris d’outre écoute.
 
Je connais en toute âpreté la condition d'avoir pour voisins tous les lointains.

La condition des lointains est qu'ils ne peuvent pas ne pas vouloir être des voisins — des voisins, en tout sens : le vertical, l'horizontal, l'oblique, le tortueux surtout. Je les entends, pour s'approcher, s'assourdissant.

Oui, l'écoute des radios du monde qui, à tout hasard, s'est nommé « marxiste-léniniste », rend vif à percevoir ; les superbes du siècle, ayant décidé que pas un seul citoyen ne serait laissé en occasion de s'entendre, ont réussi à perdre leurs oreilles.

Le chef doit, le premier, devenir une illustration chétive, ratatinée, d'une argumentation verbale faisant beau¬coup de bruit pendant longtemps. Staline avait toutes les décences de cet état : de son vivant, il n'était pas ; par lui, sur lui, à travers lui, passaient de gigantesques déferlements de paroles, toujours les mêmes.

La morosité marxiste, après sa mort, fut qu'on ne trouvait personne d'aussi apte à ne jamais déranger le sonore néant.

Tito n'a pas mis en danger le monde communiste pour les raisons que les habiles nous produisent, mais simplement parce qu'il s'avisa de réclamer ses oreilles, de dire (y avait-il droit ? c'est une autre affaire) : « Je m'écoute. »

Quant aux Hongrois, ceux-là sont le scandale même : non seulement ils veulent faire leur propre bruit et s'écouter, mais encore ils veulent avoir leur histoire. Avoir une histoire, avoir son histoire, c'est le pire des crimes.

Et certes, ce devrait être l'inverse dans le cas de ceux qui passent le plus clair de leur temps à répéter que l’ « Histoire » est la valeur suprême, qu’elle tient lieu de tous les sens. Hélas ! ils ne nous disent pas, et surtout ne se disent pas, que cette « histoire » par eux divinisée est une histoire lointaine, si lointaine qu’elle est privation d’histoire.

Mao Tseu Tong vu plus loin. Selon le peu que j'en saisis A travers les émissions radiophoniques, il doit juger en non for intérieur que Molotov était quelque peu fantaisiste, que Staline se laissait mollir. Lui, il supprime pure¬ment et simplement toute histoire ; pour lui, l'humanité n'a plus d'avenir, et même le devenir est « clos ». Bien entendu, les faits sont interdits ; il n'y a plus qu'une sorte d'électronique de ce qui, pendant les quelque quatre mille ans où l'humanité eut une histoire, porta le nom de « faits » ; la diplomatie elle-même doit se faire science exacte, avec tant de milliers et de milliers de victimes comme signes intermédiaires (façon « multiplier par », « diviser par ») des opérations. Le genre humain, tout entier réuni, ne doit pas changer les équations. Mao, ou le délire des mathématiques, l'impérialisme mental du quantitatif.

Les Polonais, les Hongrois, même les Russes, veulent un avenir . Mao intervient pour les tenir « achevés », mornes insectes à jamais sans espoir d'humain : « Vous resterez le rien parfait que le dogme vous définit. Les schèmes mathématiques doivent être sans faille ». Il ajoute : « Vous ne gênerez pas l'absence d'Histoire. »


 

       Armand Robin N.N.R.F. N° 52, avril 1957


Une version préparatoire de ce texte avait été envoyée à Jean Paulhan en janvier 1957; la notice avait été rédigée à part :

Depuis 1940, sans autre interruption que de très brèves fatigues, Armand Robin publie pour un tout petit nombre de lecteurs sérieux et honnêtes, un bulletin d’écoutes de radios en langues étrangères.

L’indépendance de ce travail est restée entière sous les régimes les plus divers.

Je connais dans toutes ses  âpretés la condition d'avoir pour voisins tous les lointains.

En un certain sens, cela rend vif à percevoir comment , sur d’autres plans (graves, eux !) certains superbes ne s’entendent plus jamais, ont décidé que l’humanité ne s’entendrait plus jamais, qu’il n’y aurait même plus un seul citoyen livré au péril de s’entendre !  Oui, l'écoute des radios du monde qui s'est nommé « marxiste-léniniste », tend à montrer constamment que tout homme, à commencer par le chef, doit devenir une illustration chétive, ratatinée, d’une argumentation verbale faisant beaucoup de bruit pendant longtemps, pendant longtemps…

Staline avait toutes les décences de cet état : de son vivant, il ne vivait pas ; par lui, sur lui, à travers lui, autour de lui, etc, etc, passaient de gigantesques déferlements de paroles, toujours les mêmes. Il était (ou se faisait) assez « nul » pour ne jamais déranger ce sonore néant.

L’ennui, après sa mort, fut que les Russes ne trouvèrent personne d'aussi inespérément semblable au rien absolu.

Tito n'a pas mis en danger le monde communiste pour les raisons que les habiles nous produisent, mais tout simple¬ment parce qu'il s'avisa de dire : « Je suis Tito, et pas un autre.»

Quant aux Hongrois, ceux-là sont le scandale même ! Ils veulent faire leur propre bruit et s'écouter, et même ils veulent avoir une histoire.

Avoir une histoire ! c'est le crime des crimes !

Et certes, on peut penser que ce devrait être l'inverse dans le cas d’un régime dont les propagandistes passent le plus clair de leur temps à répéter que l’ « Histoire » est la valeur suprême ; hélas ! ils ne nous disent pas (et c’est cela seul pourtant qui nous enseignerait), que l’ « histoire » qu’ils divinisent est une histoire lointaine, si lointaine qu’elle est à jamais hors de portée. C’est une privation d’Histoire !

Ici, Mao va, nous semble-t-il, plus loin que ses prédécesseurs ; nous passons bien du temps à écouter en ce moment ses encycliques. A notre avis d’auditeur, il doit juger en son for intérieur que Molotov était quelque peu fantaisiste, que Staline se laissait troubler. Mao, lui, se veut élément de l’ère hercynienne : l’ « Histoire » est purement et simplement à supprimer, le dogme marxiste-léniniste ayant une fois pour toutes clos tout le DEVENIR de l’humanité ; le « hasard » n’existe pas, les faits non plus ; il n’y a qu’une mathématique des faits ; la diplomatie elle-même doit se faire science exacte, avec tant de milliers (ou, s’il le faut, de millions) de tués et de blessés comme signes intermédiaires (genre : «  multiplier par », « diviser par », « extraire la racine carrée », etc dans le déroulement de la parfaite démonstration scientifique. Mao, ou le délire de la mathématique s’emparant de l’Asie ! et cela servi  par ce qu’il y a de plus mythomanesque  marxisme-léninisme !

Nous en sommes là en ce début de janvier 1957.  Les Hongrois, les Polonais, et bien des russes veulent un « avenir » : Mao arrive pour les maintenir à l’état « achevé » : vous resterez aliénés à  « vous-mêmes, vous resterez le rien parfait que vous étiez, et cela pour que les schèmes mathématiques soient sans faille ! Vous ne dérangerez pas l’absence d’Histoire. »

Armand Robin