LE POÈTE INDÉSlRABLE
J'eus tous les torts, tous partout l'ont dit.
Les poètereaux bourgeois, tous communistes, m'ont
maudit :
« C'est un homme qui vient du peuple !
« Scandale : quoi qu'on lui fasse, il reste
peuple !
« Bien qu'il vienne du peuple il veut parler.
« Or nul homme du peuple n'a plus droit de parler
;
« Il ose dire : « J'aime la poésie.
« Un fils de travailleurs, oser parler de poésie
!
« Aucun homme du peuple n'a droit de poésie
;
« Le poème, Eluard l'a dit, est un jeu pour
bourgeoisie ;
« Grâce à nous la poésie est réservée aux
seuls soumis.
«
Tous les chants par un tyran doivent être garantis ;
« Un homme du peuple doit seulement
« Subir mort et famine en criant : « Staline est
grand ! »
« Un poète surgi des paysans, des ouvriers
« TERREUR, TERREUR, c'est le danger des dangers !
« Justement, fuyez-tous, lui, le NON-AUTORISÉ
« II vient des travailleurs pour mieux
travailler !
« II ne luit pas comme nous dans les salons de
la bourgeoisie.
« Né des petits, il ne sait pas trahir les
petits ;
« Dans les poèmes il surgit en bandit :
« Il chante autrement que nos bureaux l'ont
permis !
« Avec fierté dans l'ombre il écoute les
siens ;
« TERREUR, voilez-vous tous, il est POETE
PROLÉTARIEN ;
«
Nous, bourgeois communistes, nous mettrons fin par TOUT moyen
« A
labomination quest un chant prolétarien ;
Nous tuerons plutôt que de laisser un ouvrier
« Sans truquage exprimer ce que pensent
les ouvriers ;
« Pour changer ce Robin nous avons tout
tenté :
« Obscurité, célébrité, louanges,
huées ;
« Pendant cinq ou six ans nous avions cru
l'avoir bien oint :
« FAIS-TOI BEAU ! SOIS FRÉTILLANT ! VIENS
AVEC NOUS CHEZ LES MONDAINS !
« Nous faisons tout mieux que les autres,
nous staliniens :
« Nous avons une variété superidiote de
mondains.
« Nos mondains, il les a giflés ;
« Les portes dorées, il les a claquées ;
« Nos millionnaires, il les a fessés ;
« Et nous, il nous a fouettés.
« Nous nous sommes consultés, nous avons
décidé :
« RIEN À FAIRE ! IL RESTE ET RESTERA
PAYSAN, OUVRIER ;
« NÉ DU PEUPLE, IL NE SERA JAMAIS VALET,
« JAMAIS
POÈTE À GAGE, « POÈTE ENGAGÉ » ;
« IL N'EXISTE AUCUN MOYEN DE LE CHANGER EN
SALETÉ ;
« PUISQU'IL N'Y A RIEN D'AUTRE À FAIRE,
IL FAUT LE TUER. »
« Aragon, bourgeois plus veule, a
renchéri :
« TUONS-LE VITE, VITE, AVANT QU'IL AIT LE
TEMPS D'UN CRI !
« IL FAUT QUE SON CHÂTIMENT SOIT
EXEMPLAIRE
« ET SERVE DE LEÇON POUR TOUT PROLÉTAIRE
:
« AVANT D'ÉTUDIER, TOUT PROLÉTAIRE
« DOIT DEMANDER : STALINE, AI-JE DROIT DE
LE FAIRE ?
« AVANT DE DIRE UN MOT TOUT PROLÉTAIRE
DOIT
« DEMANDER À STALINE : EST-CE QU'IL
PLAÎT À TES BOURGEOIS ?
« STALINE A DIT : FAITES SAUTER LA TERRE
« PLUTOT QUE DE DONNER LA LIBERTÉ AUX PRO
LÉTAIRES !
« IL FAUT ASSASSINER TOUS LES HOMMES DU
PEUPLE
« QUI VOUDRONT RESTER PEUPLE.
« TRAVAILLEURS, PAR L'EXEMPLE DE ROBIN,
APPRENEZ :
« QUICONQUE PARMI VOUS S'INSTRUIRA SERA
TUÉ
« VOUS N'AVEZ DROIT QU'À DES JOURS
FAUSSÉS,
« VOUS N'AVEZ DROIT QU'À DES MOTS TRUQUÉS
;
« TOUT TRAVAILLEUR GAGNANT, TRÈS PUR,
ACCÈS À LA PENSÉE,
« NOUS SAURONS SANS HÉSITER, SANS PITIÉ,
L'ASSASSINER.
« NOUS, COMMUNISTES, NOUS SOMMES LES
EMMERDEURS,
« LES EMMERDEURS DE TOUS LES TRAVAILEURS ».
*
**
Et moi, simplement, telle une plante, je voulais
M'accroître lentement, patiemment, sans bruit,
Préparant de l'ombre, de la verdure, des fleurs, des fruits
Même pour ceux qui tentent de me déraciner.
Ces sous-hommes sont venus, m'ont dit : « SOIS HAISSANT
! »
Mais les miens, ouvriers, paysans, m'ont créé roc
non-changeant
Même qui me hait me rend plus aimant
Et je résiste, résisterai dans L'HUMAIN PERMANENT.