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Armand Robin: chronique de télévision
OEIL CONTRE OEIL 1952

Dans l'oeil de caniche qu'est l’écran de télévision, que devient la perfection dans la représentation de la sottise ? La télévision étant par essence un nouveau langage, il est logique, si la télévision existe, que par elle existe une figuration inédite, comme par des idéogrammes frais, du visage moral et physique du sot. Et, dans le cas de sots exemplairement sots, il convient que cela prenne de l'allure, voire de la grandeur.

C'est, très exactement, ce qui arrive tous les jours, à 13 heures, grâce à l'émission dite « Télé-Paris ", laquelle passe à la fois à la radio et à la télévision et où s'épanouissent béatement Roger Féral et Jacques Chabannes. La radio, organe aveugle, donne de ces deux nantis en non-esprit une idée négativement désavantageuse; la télévision donne d'eux une idée positivement désavantageuse ; la différence est de taille, et toute en faveur de la télévision. Qui n'aura fait qu'écouter l'émission « Télé-Paris », tout le reste de sa journée ira désespérant de l'esprit et jusque de son propre esprit; au rebours qui les aura entendus de ses propres oreilles et vus de ses propres yeux connaîtra l'allégresse de celui qui apprend à chaque aube quelques nouveaux caractères chinois:  l'insupportable « m'as-tu-entendu » du monstre, transfiguré par des ressources neuves, devient sur le petit écran un « m'as-tu-vu », qu'on ne peut assez louanger.

Entendus, ils déplaisent souverainement, et c'est tout; entendus et vus, ils sont pour ainsi dire révélés, riches d'agréments que sans aucun doute ils ne soupçonnent point, mais qui d'autant mieux appartiennent au règne du naturel. Les entend-on passer au-dessous de toute pensée, à l'instant même dans l'oeil du caniche passent leurs gestes parfaits en sous-pensée ; ils sont faits, de cette façon, d'inappréciables mimes de leur sottise; ils deviennent les comédiens sans défaut de leur bêtise. Leur non-esprit est belle image.

Et même si on a de la délicatesse dans le goût, il y a je ne sais quoi de très satisfaisant dans ces regards, poses et mimiques par lesquels toute pensée est exorcisée. Par surcroît, il y a que quelque chose de particulièrement délicieux et persuasif dans le fait d'avoir besoin de tenir un papier devant la caméra (et cela d'une façon très plate) pour annoncer, au fur et à mesure qu'il passe sur le petit écran, tel ou tel camarade en médiocrité, qui généralement n’a aucune qualité, qui plus généralement encore est officiel : sans ce petit papier en effet comment se souvenir de ce qui jamais n’eut aucune existence? Ils sont admirables, et je proclame très haut leurs mérites.

En faisant passer quotidiennement par son bon oeil de caniche le « rogerféraljacqueschabannes », la télévision se prouve apte à tracer des hiéroglyphes inédits, dans le cas présent des hiéroglyphes inédits de la sottise satisfaite ; il conviendrait de conserver pour la postérité ces émissions à titre de premiers exemples de la réussite du nouveau langage.

A. R.

Cette chronique de télévision est parue dans la revue Esprit N°10 en octobre 1952