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Armand Robin: l'oeuvre libertaire

*   Alain SERGENT: Je suivis ce mauvais garçon  *

 

On sait ce que divers régimes d'inquisition, de chantage et de contrainte ont fait, en quelques années, de la littérature européenne: un bavardage d'apeurés. Sur ce fond de pleutrerie, quelques écrits heureusement se détachent déjà, témoignant que l'esprit a décidé de vivre, envers et contre tout, dans un monde chaque jour plus invivable. Un de nos camarades énumérait ici récemment les oeuvres de Malraux, de Koestler, de Silone, de George Orwell; il faudrait se hâter d'y ajouter celle de Camus et celle de Bernanos.


Aujourd'hui, c'est l'indépendance d'esprit d'un jeune écrivain, Alain Sergent, qui retiendra notre attention; les valets de plume de la bourgeoisie communiste ayant jeté l'anathème sur ce livre, les critiques littéraires, qui sont au premier rang des légions d'intimidés (ce terme est très doux), se sont bien gardés d'en parler à leurs lecteurs; à notre connaissance, il n'y a guère que Nadeau qui ait rompu le silence, dans " Combat ".


Il nous sera très facile de répondre par avance à ceux qui, nous prenant pour des partisans, nous reprocheraient de parler de ce livre parce qu'il témoigne d'une certaine tendresse pour les anarchistes. Cette tendresse existe bien dans le récit d'Alain Sergent. Mais il est encore plus vrai que les anarchistes y sont à peu près aussi malmenés que les communistes, les hitlériens, les bourgeois traditionnels, etc. Nous n'avons rien de sectaire dans l'esprit; nous ne sommes rien d'autre que des hommes témoignant que l'homme, quoi qu'on lui puisse faire, veut rester conscient, veut rester bon, veut rester intelligent: dans toute critique de bonne foi dirigée contre nous, ce qui nous intéresse, c'est la bonne foi de la critique; étant anarchistes, nous savons que par définition il faut toujours et toujours aller au-delà, indéfiniment au-delà de ce que les anarchistes font, jusqu'à ce que se réalise un jour par la pure volonté des âmes le NIVELLEMENT PAR EN HAUT, notre but suprême.


Surtout, nous ne pouvons être d'accord avec l'attitude révélée par ce roman: Alain Sergent est l'un de ces millions et millions de " dégoûtés " que les absurdes horreurs de ce siècle "
démoralisent " et conduisent au nihilisme. Alain Sergent ne répond au cynisme triomphant que par un cynisme rebelle; il ne réplique au néant de cette ère que par la constatation de ce néant et la construction d'un néant personnel. Nous ne comprenons que trop cette forme de révolte, qui a son prix et qui d'ailleurs est sans doute la condition d'une résurrection de la conscience dans la situation qui nous est donnée. Il n'en reste pas moins vrai qu'Alain Sergent, peut-être contre sa volonté, entre ainsi dans les divers systèmes à la mode, qui tous ont pour trait commun de nier et de bafouer la vie intérieure des âmes. Il est très probable, il faut se hâter de le dire, qu'Alain Sergent ne s'en tiendra pas à ce " dégoût " : il y a vers la fin de son livre quelques pages soudain plus douces, lorsque le héros du roman se trouve face à face avec un ermite russe vivant en pleine forêt loin des sornettes qui ensanglantent notre temps; bien que l'auteur n'ait pas voulu, même à ce moment-là quitter le ton cynique, on le devine ému, ébranlé.


Ces réserves faites, nous ne pouvons qu'applaudir. Toutes les billevesées politiques dont les uns et les autres ont voulu et veulent encore nous encombrer le cerveau sont ici totalement anéanties. Ce livre, écrit en une langue très drue, est une vigoureuse distribution de coups de trique; tour à tour, les franquistes, les mussoliniens, les soi-disant antifascistes, les collaborateurs, les résistants, les hitlériens, les Russes, les Allemands, les Français, les maquisards, les gens de la L.V.F., les antisémites, les prosémites, les écrivains à la mode, bref tous les représentants des sottises variées de ce siècle, " attrapent " selon leur grade. Il y a de la santé dans cette agilité à détruire tous les mythes dont on veut nous infester. Dans ce monde où les êtres les plus vils nous parlent sans arrêt d'épuration, on a besoin d'authentiques épurateurs qui nous épurent de tous ceux qui font de ce monde un monde littéralement infernal : en voilà un. On se dit au sortir de ce livre : " L'oeuvre d'abêtissement universel n'a pas encore réussi. "


S'il y avait encore en France une critique littéraire, nos chroniqueurs si abondants trouveraient bien un instant pour proclamer que ce livre, selon leur formule, " constitue un important
témoignage d'un jeune écrivain de talent ". Qui lira le livre d'Alain Sergent comprendra que ce réfractaire n'a nullement besoin que ces gens rompent à son sujet la conspiration du silence. Alain Sergent le dit d'ailleurs dans sa préface, (trop prudente à notre gré) : " Je prends mon parti d'avance d'une mise à l'index par les assujettis avoués ou camouflés à telle ou telle obédience. "


Cette dernière déclaration nous met en face d'une des réalités essentielles de ces temps: à force de vouloir tout contrôler, nos contrôleurs littéraires finalement ne contrôleront plus que le néant ; tout ce qui sera véritablement acte de l'esprit leur échappera par une loi aussi naturelle que l'eau échappe à la main qui la veut trop presser. Il est probable que toute la littérature qui comptera va désormais se développer sur le plan de l'opposition.


Armand Robin, Le Libertaire, 13 décembre 1946

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