ARMAND ROBIN
TABLE DES MATIÈRES
L'un des autres que je fus
NOUVEAU CHANT DE MOISSONNEURS
Sur le chaume, des croix !
Au cimetière, des croix !
Sur l'épaule, sur notre cur,
des croix !
Loin sur les plaines, des croix !
Et seul le maître de la Croix
n'est nulle part !
Sur la terre entière des croix !
Sur les tours, sur les poitrines,
des croix !
Sur les biens de ce monde, des
croix !
Et dans le ciel une voix : « Je
l'ai bien mérité :
La croix, pourquoi pour eux l'ai-je
portée ? »
POÈME DU FILS DU PROLÉTAIRE
Mon père à moi de l'aube à la
nuit
Vite, vite, trime, travaille ;
Mon père à moi, pas d'homme
meilleur
Où qu'on aille.
Mon père à moi va en veste usée,
Mais m'achète un habit flambant
Et me parle d'un futur tout beau
Amoureusement.
Mon père à moi est captif des
riches,
Ils le broyent, le ploient, le
pauvre gars,
Lui, le soir, il rentre, du bon
espoir
Plein les bras.
Mon père à moi, sa fierté, sa
force,
Il nous les donne, ce lutteur, ce
grand,
Mais lui-même jamais ne s'abaisse
Devant l'argent.
Mon père à moi est un pauvre, un
sauvage ;
S'il n'avait de regard pour son
gars,
Il arrêterait cette immense farce
D'ici-bas.
Mon père à moi, s'il le
décidait,
Les riches tous seraient détruits,
Tous mes petits camarades seraient
Comme je suis.
Mon père à moi, s'il disait un
seul mot,
Ha, on en verrait des peureux,
Ils seraient moins nombreux, les
noceurs,
Les heureux.
Mon père à moi, travailleur,
batailleur,
Peut-être c'est lui, le roi des
rois ;
Oui, plus que le Roi, c'est lui le
fort,
Mon père à moi.
SOUVENANCE D'UNE NUIT D'ÉTÉ
Du haut du ciel un ange toute
colère tambourina
Une alarme pour la morne terre,
Une centaine au moins de jeunes
gens se détraqua.
Une centaine au moins d'étoiles se
décrocha,
Une centaine au moins de coiffes de
vierges tomba :
Étrangeté,
Étrangeté fut cette nuit d'été.
Il prit feu, notre vieux rûcher,
Notre plus beau poulain se cassa la
jambe,
Dans un rêve que je fis les morts
étaient vie,
Bourkouch, notre bon chien,
s'égara
Et Maria, notre servante, la
muette,
Brusquement en stridentes notes
partit :
Étrangeté,
Étrangeté fut cette nuit d'été.
Les hommes du néant crânaient,
traînant leurs sabres
Les hommes du vrai se tenaient
blottis,
Même les bandits du beau monde se
montraient bandits
Étrangeté,
Étrangeté fut cette nuit d'été.
Nous savions que l'homme est
faillible
Et qu'immense est son retard aux
échéances de lamour :
Vain savoir : ce fut malgré tout
bizarrerie,
Ce retournement du monde qui eut
vie, fut vie.
La lune jamais ne fut si grosse
raillerie,
Jamais l'homme en nul temps ne fut
si petit
Qu'il le fut cette nuit :
Étrangeté,
Étrangeté fut cette nuit d'été.
Sur l'âme l'atrocité
Avec une liesse mauvaise se baissa
;
Dans tout homme emménagea
La clandestine fatalité de tous
ses aïeux ;
Vers une noce de sang, de terreur
Avinée s'ébranla dame Pensée,
Hautaine servante de l'homme,
Qui, voyez, n'était plus que du
néant, qu'une éclopée :
Étrangeté,
Étrangeté fut cette nuit d'été.
Ce que je crus voici, ce qu'alors
je crus, voici :
L'un quelconque des dieux
délaissés
Reprenait vie et vers la mort
m'emportait.
Et, voici, jusqu'au jour
d'aujourd'hui je vis
Tel exactement que me fit cette
nuit,
Et moi, guetteur de Dieu, je suis
Souvenance d'une nuit d'épouvante
Engloutissant un monde :
Étrangeté,
Étrangeté fut cette nuit d'été.
AVIS AUX VEILLEURS
VEILLEURS, AIGUISEZ VOTRE GUET,
Dans les nuits à semailles
d'étoiles,
Les lucioles de Saint Jean dans le
verger,
Les souvenances d'étés décédés
- Étés de Florence mêlés
Aux adieux d'un Lido d'automne -,
Les souvenances d'aurore embuée
Sur le luxe fripé d'une salle de
danse,
Les beautés surgies, vécues,
dépassées
Et qui jamais ne pourront être des
trépassées,
Les vivants et des morts par nous
gardés,
Les ensouriements lointainement
venus des curs,
Tous, orphelins, vous regardent,
angoissés :
VEILLEURS, AIGUISEZ VOTRE GUET.
VEILLEURS, AIGUISEZ VOTRE GUET :
La Vie, elle est vie et vivre elle
veut ;
Elle n'a pas donné toutes ces
beautés
Pour qu'aujourd'hui sur elles
viennent danser
De sanglantes, stupides
férocités.
Chose si désolée est d'être un
homme,
Chose si monstrueuse l'évangile de
l'animal-héros,
Mais les nuits à semailles
d'étoiles
Même aujourd'hui interdisent qu'on
oublie
La foi en l'homme, Beauté sur le
métier !
Donc, ô vous qui toujours veillez,
désertés,
VEILLEURS, AIGUISEZ VOTRE GUET.
HOMME DANS LA NON-HUMANITÉ
Mon cur, la crosse d'un fusil
l'a broyé,
Mes yeux, mille terreurs les ont
charcutés,
Sur ma hautaine gorge s'est juché
un djinn muet,
Sur mon cerveau la Démence a
cogné.
Maintenant, malgré tout,
lève-toi, ma force,
Une nouvelle fois soulève-toi de
dessus la Terre.
Fait-il point du jour, ou bien
minuit d'enfer ?
Pas d'importance, ne songe qu'à
t'élever, par tout danger
Ainsi qu'il y a longtemps,
longtemps tu le faisais.
Moi, l'altier Hongrois, cent cieux,
cent enfers jamais
N'ont su me donner ces plus belles
beautés :
L'humanité dans la non-humanité,
La magyarité dans la magyarité
persécutée,
La vie-nouveauté, dans la mort
mort révoltée.
Sur une grand'route foulée
d'atrocités,
Sur la cime quencore une fois
veut ma volonté,
Je traverse en transe la ligne des
horreurs :
Oh quelle détresse échoit au
Hongrois
Et comme Dieu est défaillant
quelquefois.
Or il faut en ce moment qu'il vive,
un mort si mort,
Un souffrant si véritablement
souffrant,
Un mi-vant avec son cur
ravagé vivotant.
Dedans son cur en loques
bâtissant un cantonnement
Pour un très grand trésor menacé
de brigands
Et croyant qu'il préserve un plus
bel antan.
Vous, tous les endeuillements, oh
je vous comprends,
Vous, tous les avenirs, oh pour
vous la peur me prend
(Tant pis si pour un
mort resurgi c'est malséant)
J'ai tant pitié de mon espèce
sauve-qui-peut s'ensauvant.
S'échappant hors mon cur
malmené,
Me survint souvenance, me revint
ressouvenance :
Mon cur, la crosse d'un fusil
l'avait broyé,
Mes yeux, mille terreurs les
avaient charcutés,
Sur ma hautaine gorge un djinn muet
s'était juché,
Sur mon cerveau la Démence avait
cogné.
Et de nouveau, je vis, pour les
autres je crie :
HOMME DANS LA NON-HUMANITE.
SURGISSEMENT DU SEIGNEUR
A l'heure qu'on me quitta,
A l'heure que mon âme fut très
bas dans mes bras,
En tapinois, sans que je prévoie,
Dieu me prit dans ses bras.
Avec trompettes ? Non pas !
Avec embrassement de muets, réels
bras.
Par un midi tout beauté, tout
brasier ? Non pas !
Par un minuit tout combat.
Et tout s'enténébra
Dans mes yeux de vanité.
Mon jeune âge sombra,
Mais lui, le tout éclat, le tout
sommet d'éclat,
Pour toujours je le vois.
PRIÈRE APRÈS GUERRE
Mon Seigneur, retour de combat me
voilà,
C'est fini, fini, tout combat :
Crée paix de moi à Toi, de moi à
moi,
Puisque la Paix, c'est toi.
Vois : enflure en flamme est mon
cur
Et rien qui apporte repos.
Baise un baiser sur mon cur
Pour qu'il soit, un peu, feu moins
gros.
Mes sauvages, grands yeux ont clos
Leur compte avec l'ici-bas,
Maintenant n'est à eux rien qu'ils
voient,
Toi, c'est rien que toi qu'ils
voient.
Mes deux pieds bondisseurs
d'autrefois
Ont eu comme boue du sang jusqu'aux
genoux
Et maintenant vois, mon Seigneur :
il n'y a plus de pieds à moi
Il n'y a que des genoux, il n'y a
que des genoux ;
A bas les combats, à bas les
baisers ;
Mes lèvres, les voilà,
desséchées,
Mes deux bras desséchés, les
voilà, bâtons desséchés,
Mon Seigneur, de haut en bas tu
peux me regarder.
Mon Seigneur, moi aussi,
aperçois-moi,
C'est fini, fini, tout combat,
Crée paix de moi à Toi, de moi à
moi,
Puisque la Paix, c'est Toi.
SOUS LE MONT SION
Avec sa hirsute, blanche barbe de
Dieu,
Tout lacéré, frileusement
soufflait, courait
Mon Seigneur, le très vieil
oublié,
Par un moite, aveugle, automnal
avant-jour
Sous le mont Sion quelque part.
Énorme cloche était son paletot,
Rapetassé d'un rouge abcd ;
Il était bien bas, bien râpé, le
vieux Seigneur,
Il tapait, frappait le brouillard,
Carillonnait pour un Orate.
Je tenais une lanterne dans mes
tremblants doigts
Et dans mon âme en loques je
tenais la Foi
Et je tenais dans mon esprit les
jours jeunes d'autrefois
A mes narines parfum de Dieu
parvint
Et justement je cherchais
quelqu'un.
Là, sous le mont Sion, il
m'attendait
Et les pierres étaient flamme,
étaient feu,
Il carillonnait, me caressait,
Ses pleurs sur ma face pleuraient,
Il était bon, il était clément,
le vieux.
J'ai baisé ses mains de vieux,
toutes ridées,
Avec des hurlements j'ai brisé ma
raison :
« Comment t'appelle-t-on, beau
Seigneur si vieux
« Vers qui j'ai dit tant
d'oraisons ?
« O souffrance, souffrance,
souffrance, j'ai oublié.
« O seulement savoir enfantine
oraison !
« C'est en mort que je fais retour
vers ta maison,
« Moi, le vivant en pleine vie sa
damnation. »
Lui me regardait, regard navré,
Et carillonnait, carillonnait.
« O seulement savoir ton nom toute
perfection »
Lui, il attendit, attendit, puis en
mont bondit,
En chacun de ses bonds un répons
de psaume,
De psaume pour un mort. Et moi me
voilà, toujours assis
Sanglotant, sous le mont Sion.
JE CROIS INCRÉDULEMENT EN DIEU
Je crois incrédulement en Dieu,
Parce que croire je veux,
Parce que jamais n'y fut réduit si
fort
Un vivant, un mort.
Ils vont couler hors mon cur
écrasé,
Les vocables d'âcreté,
Qui déjà l'an dernier étaient
des décédés,
De la vanité enjolivée.
Aujourd'hui tout, tout s'est fait
prière ;
Aujourd'hui tout est une massue
Qui frappe mon corps, mon âme, mon
cur ;
Soif de la Grâce est cette massue.
Beauté, Pureté, Vérité,
Mots qu'humilient les éclats de
rire,
Oh si seulement j'étais mort quand
je vous ai
Humiliés par mes éclats de rire.
Virginité, Bonté, sage
Débonnaireté,
Hélas oh vous êtes une
nécessité.
Je crois en un Christ, d'un Christ
je suis attente,
Je suis malade, malade.
Je m'arrête en somnambule souvente
fois
Et je veux reprendre mes sens,
Mais devant moi cent mystères
tournoient
En de saints éblouissements.
Tout dans ce grand monde est
mystère,
Dieu aussi, s'il existe, est
mystère,
Et le mystère des mystères, c'est
moi,
Mon pauvre, mon traqué moi.
Dieu, le Christ, la Vérité, et
les autres demandes
Qui tour à tour sont toute ma
demande,
Pourquoi les demandé-je ? Oh
torture, voilà le mystère
Qui plus que moi-même est
l'immense mystère.
SOUVENIR D'UN IMMENSE MORT
A la mémoire de Jean Jaurès
Venez, vous qui vraiment souffrez,
Qu'à vous mon cur se fasse
entendre,
Mon cur, muets battements
maudissants,
Qui voudrait remplacer un héros
tué.
Écartons les guenilles de l'homme
d'à présent,
Comptons ses conditions de
tristesse, d'asservissement,
Soyons des amoureux d'un amour de
fous
Pour lui, malgré ses fautes de
fou.
Plus de cent sont les raisons du
Hongrois
De proclamer partout tendre frère
cet homme-là,
Plus de cent sont les deuils quand
ce bras-là
En défendant la paix s'abat.
Mon cur me fait bien mal, mon
message est bien pesant,
Je ne vais pas pouvoir tout vous
dire complètement,
Mais un immense mort, un frère
assassiné
Dedans ma vie vit, semblable au
Juste de la Pensée.
Les temps pesants détruisent les
meilleurs
Dans le tendre cur des
faibles compagnons,
Mais ils demeurent, ceux-là qui
face au temps
Restent droits, se chargent du
Droit.
Venez, vous qui vraiment souffrez,
Qu'à vous mon cur se fasse
entendre,
Mon cur, muets battements
maudissants,
Écoutez-le maudire et bien fort
maudissez.
MA FIANCÉE
Que m'importe qu'elle soit le rebut
des coins de rues,
Pourvu qu'elle me soit jusqu'en ma
tombe assidue !
Qu'elle se plante devant moi dans
l'été brûlant, bouillant :
« Toi, je t'aime, c'est toi celui
que j'attends. »
Oui, reniée, chassée à coups de
pieds, débauchée !
Seulement, ô dans son cur de
temps en temps regarder !
Si de brutes bourrasques nous
surprennent blasphémants,
Qu'ensemble nos pieds aillent
croulant, s'écrasant.
Si à telle ou telle heure nos
âmes sont des comblées,
Ne trouvons que sur nos lèvres nos
saluts et voluptés.
Si je me vautre dans la poussière
de la rue, là en bas,
Qu'elle se penche sur moi, me
protège de ses bras.
De part en part si me purifie un
saint brasier,
Survolons l'univers à coups
d'ailes mêlés.
Qu'à jamais elle me baise, amante
jamais changée,
Dans les larmes, l'ordure, la
souffrance, la saleté.
Que tout règne où mes songes se
sont anéantis
Me soit rendu par Elle : que soit
Elle la Vie.
Je vois en visage d'ange son visage
fardé :
Mon âme y gît, avec mes jours de
vivant, de décédé.
Fracassant jusqu'au dernier
décalogues, enchaînements,
Mortellement nous raillerions le
monde grouillant.
Ensemble nous raillerions en signe
d'ultime adieu ;
Nous péririons ensemble, l'un pour
l'autre restant dieu.
Nous péririons avec ce cri :
« Crime et infamie est la vie,
Nous deux nous étions, seuls,
propreté, neige blanche. »
LES BAISERS DANS LE PALAIS DORMANT
En deçà de la mort, au delà de
la vie,
Seul un gars viril peut arriver
là,
Seul un morne mâle peut arriver
là.
Dans brumes, dans ténèbres
somnole, somnole
Le palais du baiser.
Dans mille chambres mille femmes,
Blanches, belles femmes, en attente
halètent,
Brûlantes, grandes femmes, en
attente halètent.
Ton cur à toi en tocsin
d'incendie frémit,
Retentit, bondit.
Porte après porte, tu ouvres
furtif :
Partout femmes et lits,
Parfums, femmes-flammes et lits,
Dédale du baiser avec mille femmes
Et mille « jamais ».
Là tu vas tournoyer pour
l'éternité,
Peureux, frileux, sans baiser,
Fleuri de frimas, sans baiser.
Et sur tes bruns cheveux l'énorme
Automne
Egouttera sa rosée de neige.
LE BUCHER PEUT FERMER SES YEUX
Le bûcher peut fermer ses yeux,
Mes yeux que voilà, tristes, vieux
yeux,
Jamais n'en fixeront une autre que
toi.
Tu peux me chasser, Léda :
De mes yeux de bon chien, fidèles,
vieux yeux,
Jamais tu ne t'ensauveras.
Bûcher amoureux,
Peut-être à nouveau ton sang sera
feu :
En vain, très vainement, il
flambera.
Les fantômes s'en viendront :
Mes yeux que voilà, tristes, vieux
yeux
Point ne te lâcheront. Ils te
fixeront.
VAINEMENT ME TENTERA TA NEIGE DE
BLANCHEUR
Je te souillerai, je te salirai
Par la nuit la plus belle, la plus
enneigée :
Vainement me tentera ta neige de
blancheur.
.
Hors mon âme te forçant à
monter,
Face à moi je manderai un jour
Ton ombre virginale aux blancs
atours.
Vainement elle flottera, peureuse,
frileuse :
Je l'éclabousserai toute de sanie,
D'encre, de sang, de larmes, de
lie.
Elle tremblera vainement, vainement
:
De soupçons, d'accusations je la
tacherai,
De toxiques orties je la
flagellerai.
Tout le temps qu'elle flottera,
morose, amoureuse,
Sur ton ombre vagabonde mon rire
éclatera,
Vers elle je soufflerai : «
Va-t-en, je te renvoie. »
SUR UN SAUVAGE PRÉCIPICE DRESSÉS
Sur un sauvage précipice dressés,
Il y a nous deux : inertes,
désertés,
Haut dressés, l'un dans l'autre
tressés.
Pas un « ho », un sanglot, pas un
mot :
Un seul soubresaut, nous tombons au
tombeau.
Des agrafes de sang et de chair
nous sauveront
Tout le temps que nous nous
étreindrons :
Nos bleuâtres, tremblantes lèvres
nous agraferont.
Tout le temps du baiser, pas un mot
:
Au soubresaut d'un mot, nous
tombons au tombeau.
TU PEUX RESTER, TU POURRAS M'AIMER
Avant elle et son corps féminin si
frais
Du parfum pour l'annoncer
viendrait,
Derrière elle tout délice
viendrait,
Pudiquement elle saluerait.
Elle m'ignorerait, ne m'aurait vu
jamais,
S'asseyant à mes pieds elle
regarderait,
Regard dans mes regards, et des
heures crouleraient
Et, craignant toute crainte, elle
dirait :
« Je suis jeune fille, je suis
étrangère, je suis pure,
Aucun garçon ne
me vit jamais,
Je suis belle, je suis pauvre, je
suis sans patrie,
J'aimerais vous
aimer. »
Et moi, regard dans ses regards, je
la regarderais,
La prenant pour malade ensauvagée,
je lui dirais :
« Jeune fille, que soit faite ta
volonté,
Tu peux rester, tu pourras m'aimer.
»
PLAIE DE BRAISE ET D'ORTIES
Plaie de braise et d'orties je
suis, et brasier,
Je suis torturé par la clarté,
par la rosée,
Il faut que je t'aie, je viens te
posséder,
Je veux plus de torture : il faut
que je t'aie.
Que ta flamme brandilIe, brasille,
blanchoie,
Les baisers supplicient, les
désirs supplicient,
C'est toi ma torture, ma géhenne
à moi,
Mes entrailles vers toi sont un
cri, un tel cri.
Le désir m'a haché, le baiser m'a
saigné,
Je suis plaie, braise, faim de
neuves tortures,
Donne-moi des tortures, à moi
l'affamé,
Je suis plaie, baise-moi,
brûle-moi, sois brûlure.
LEDA DANS LE JARDIN
Dans un âpre jardin je te vois :
rouge, l'escarpolette d'un hamac
Se balance pour te bercer.
Avec leurs larmoyants calices de
languissantes fleurs
Font les pleureuses sur nos
baisers.
Songeur, je te regarde : rouge, un
couple de nuages
Par le ciel s'en va vogueur.
Ils échangent en se balançant des
baisers faiblissants
Puis dans un feu de désirs se
meurent.
Rouge couple de nuage, nous
flottons. Notre embrasement
En flambée affamée flamboie.
Et voici qu'en bas, dans le jardin,
même le coquelicot,
Rougeoiement rassasié, sur nous
s'apitoie.
QUAND JE POSE MA TETE
Sur les genoux d'une femme quand je
pose
Ma tête de satyre, énorme,
morose,
J'ai souvenance.
En d'anciens jours, femme géante,
j'allais errante
Par des sites lascifs,
incandescents,
Rêveusement.
Lointainement, profondément dans
le Temps
Je fus une femme : prestance
prestigieuse,
Grande amoureuse.
Venaient derrière moi, tout
souffreteux, de jeunes gars
Lisses, tout désirance, tout
souffrance :
J'ai souvenance.
CAILLOU EN ÉLAN LANCÉ
Caillou en élan lancé, vers ton
sol repenché,
O mon pays si petit, répété,
Chez lui rentre ton fils.
Dans les lointaines tours il
séjourne tour à tour,
Tourne pris de vertige,
s'effarouche, croule au séjour
De poussière d'où il prit jet.
S'évadant chaque jour, nul jour il
n'est sauvé
Des hongroises désirances, tantôt
rapaisées,
Tantôt hérissées comme jamais.
Je reste chose à toi dans mon
immense emportement,
Mon immense infidélité, mon
amoureux tracassement
Magyar mornement.
Caillou en élan lancé,
passivement sauvage,
O mon pays si petit, exemplaire
image sur ton visage
S'abat ma ressemblance.
O douleur : vainement delà toute
visée
En cent élans on me lancerait, mon
vol retomberait
Même au centième élan, au tout
dernier élan.
DESTIN D'ARBRE HONGROIS
Dans mon âme l'Arbre Hongrois
Et ses frondaisons succombent,
tombent :
Il faut que de même façon
Je sombre en frondaison, floraison.
Hola, oh las, de la Sylvanie,
D'un lieu de sylves j'ai surgi :
Frondaisons au lieu d'oraisons,
Bien peu d'imploraisons.
A flot j'ai versé les fleurs,
Dans le bien, dans le mal je fus
fleur :
D'autres eurent fruitières
saisons,
Je n'eus que saisons de floraison.
Anciens sont mes jours, en païen
Je reste toujours refus d'oraison :
Ne soyez jusqu'à la mort que
tombante saison,
Hongroises floraisons, frondaisons.
PARIS, MON MAQUIS
Je fais halte, haletant : ô Paris,
Paris,
Broussailles humaines, fourré
géant.
La horde de sbires du Danube
braillard,
On peut la lancer après moi :
La Seine m'attend, le Maquis m'est
abri.
Immense est mon péché : mon
péché c'est mon âme.
Mon péché, c'est de voir
lointainement, d'oser.
Je suis un renégat de la race
d'Almos,
Au bûcher voudrait me porter,
Puante d'Iran, une armée scythe.
Qu'ils viennent : sur le cur
de Paris je suis blotti,
Tapi, abasourdi et libre, si libre.
Le dernier réfractaire des Huns
Est gardé par le Maquis rieur
Qui le jonche dune tombe de
fleurs.
Ici j'aurai ma mort et non sur le
Danube.
Mes yeux ne seront pas fermés par
des mains laides.
Un soir la Seine m'appellera : par
une nuit muette,
Dans quelque grand, quelque géant
néant,
Dans un sombre néant je sombrerai.
La tempête peut crier, la
broussaille crisser,
La Tisza déferler sur la plaine
hongroise,
Moi j'ai pour me couvrir la forêt
des forêts,
Même mort je resterai caché
Par mon fidèle taillis-Maquis, mon
immense Paris.
NOTRE CUR SAIGNANT,
DÉLAISSÉ
Nos plaies ont eu pouvoir de se
rouvrir cent fois,
Ainsi l'a loti la Vie :
Chaque fois bien au-dessus des
plaies hongroises
Des abcès plus enflammés ont
surgi
Et nous n'avons personne, nous
sommes dans la poussière des gangrenés.
Pleurer nos propres pleurs jusqu'à
leur fin de pleurs,
Des pleurs plus tapageurs
Jamais jusqu'aujourd'hui ne nous
l'ont permis :
Contre nous surenchérit un madré,
Un inclément usurier : le destin
d'autrui.
Quand une braise de nos combats ose
sa flamme,
Des mondes tous feux dehors
s'embrasent,
Jamais ne se pourra que jusqu'à la
justice
Notre droit nous fasse parvenir :
Elle est Cendrillon, la souffrance
hongroise.
N'importe, encore une fois : Haut
les curs
En faveur de notre saignant
cur,
De notre souffrance, de notre
crève-cur,
De notre pauvre foi
souffre-douleur,
Oui, quand bien même l'Univers
serait tornade.
Notre combat, c'est contre l'Enfer
hongrois,
Tout enjeu, pour cette joute-là
nous le jouons,
C'est contre ce portail-là que
nous ferraillons,
Pour ce combat-là, corps et âme,
nous existons,
C'est là que nous perdrons ou
triompherons : notre destin est là.
QUATRE, CINQ TETES HONGROISES
Quelque part par ici, quelque part
par là-bas,
Avec têtes tombantes, belles,
moroses,
Quatre, cinq hongrois ensemble se
penchent ;
Au bord de leur narquoise
souffrance s'épanche,
Jeune, ancestrale, une larme
hongroise :
Et pourquoi ?
Vient après, comme averse,
Vient le reste de larmes :
Et pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
Pas de fin pour les larmes et pour
les « et pourquoi ? »
Au-dessus d'eux réponse : « Ha ha
ha »,
Hahaha de ceux qui ne comprennent
pas,
Ne se sont demandé, ne se
demandent jamais des :
« Et pourquoi ? »
Et s'égouttent les larmes :
Et pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
Et là-haut grand charroi de « ha
ha »
Hahatant : « Pas une fois, pas une
fois, pas une fois. »
Avec tant de chagrin, plein éclat,
Le Ciel même ouvrirait plein bras,
Là où seulement Ciel et sage
hommage il y a :
Mais ici-bas cela ne suffit pas :
On ne veut qu'une chose, les
larmes, ici-bas,
Et quelque part par ici, quelque
part par là-bas,
Avec têtes tombantes, belles,
moroses,
Quatre, cinq hongrois ensemble se
penchent.
Et pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
AMES AU PIQUET
Ils ont attaché mon âme au
piquet,
Car en elle le feu d'un poulain
caracolait,
Car en vain je la cravachais,
En vain je la chassais, la
pourchassais.
Si sur le Champ hongrois vous voyez
attachée
Une pouliche sanglante, écumeuse,
A l'instant tranchez-lui sa longe,
Car c'est une âme, une âme
hongroise, sauvage.
JOURS PLUS LONGS CHAQUE JOUR
Seulement pour un seul jour me fait
mal tout mal :
Vingt-quatre heures, puis ne vient
nul pire mal,
Mais ce jour, unité-jour, chaque
jour est plus long mal.
Déjà pal tout pointe est toute
heure :
Noirs, des masques de fer,
s'abattent, trembleurs,
Enfoncent pal à pal le mal dans
mon cur.
Je sais le destin passager des
tortures
Et si court fut chaque jour
jusqu'à ce jour :
Depuis les deuils jusqu'aux
gaîtés jeu d'un bond très court.
La Joie, différemment aussi, je
l'eus pour joie :
En plus coi, plus tapinois,
meilleur aloi :
Dans mon sourire larme qui pour
demain larmoie.
Troc splendide, avisé, j'ai
troqué
La Cène de ma gaîté, le Cana de
ma gaîté,
Instants faits de foudre en cette
vie d'étrangeté.
Aujourd'hui je sais aussi : c'est
vingt-quatre heures,
Puis après un jour torture pas de
jour plus torture.
Oui, oh oui, mais ce jour est plus
long chaque jour.
DANS LES JEUNES CURS J'AI VIE
Dans les jeunes curs j'ai vie
et chaque jour pour plus longtemps
Vainement ils houspillent ma vie,
Les fripons envieillis, les sots
méchants :
Elle est million de racines, ma
vie.
Demeurer maître éternellement
Des saintes révoltes, des désirs,
des croyances rajeunies
N'est donné qu'à ceux-là
seulement
Qui dans le sang, dans
l'authentique ont eu leur vie.
Oui, je serai vie, je serai
conquérant
Tenant tous ses droits d'une
immense, poignante vie ;
Déjà ne m'atteignent plus
injures, salissements :
Le cur des jeunes filles, des
jeunes gars me défend.
Un destin d'éternel fleurissement
est déjà mien,
Vainement ils houspillent ma vie,
- Destin ferme tel un cercueil,
telle une tombe sainte saint
Et cependant fleurissement, Vie,
éternelle vie.
J'AIMERAIS QU'ON M'AIME
Ni héritier, ni aïeul fortuné,
Ni souche de famille, ni familier,
Je ne suis à aucun,
Je ne suis à aucun.
Je suis ce qu'est tout homme :
majesté,
Pôle nord, énigme, étrangeté,
Feu follet luisant loin,
Feu follet luisant loin.
Hélas, je ne sais pas ainsi
rester,
J'ai envie que mon être soit
manifesté,
Pour que me voie qui voit,
Que me voie qui voit.
Ma torture de moi par moi, mon
poème,
Tout vient de là : j'aimerais
qu'on m'aime
Et que quelqu'un m'aît,
Que quelqu'un m'aît.
SUR LA COUVERTURE DE MON NOUVEAU
LIVRE
Aujourd'hui que dans un livre les
voici, décédés,
Imprimés, brochés, vraiment je ne
sais
Si c'est bien moi qui les ai
chantés.
Ils pourraient être d'un
quelconque étranger,
Tant ils sont étranges,
éloignés,
Ces plaintes, cantiques,
blasphèmes, versets.
Nul doute que ces chants de péché
Ne soient bafoués, redoutés
De ceux qui vivent la vie à
moitié.
Nul doute que ce serait
Délice qu'un autre eût peiné
Ces peines et sur ces peines
résonné.
Las ! ce fut moi, ce fut moi, ô
tourment,
Votre farouche père, sombres,
nouveaux chants ;
Pour vous j'ai déjà payé il y a
longtemps.
Table de correspondance (hors édition 1946) |
|
Titre du poème |
Oeuvre |
Nouveau chant de moissonneurs Poème du fils du prolétaire Souvenance d'une nuit d'été Avis aux veilleurs Homme dans la non-humanité Surgissement du Seigneur Prière après guerre Sous le mont Sion Je crois incrédulement Souvenir dun Immense mort Ma fiancée Les baisers dans le palais dormant Le bûcher peut fermer ses yeux Vainement me tentera la neige de ta blancheur Sur un sauvage précipice dressés Tu peux rester, tu pourras m'aimer Plaie de braise et d'orties Léda dans le jardin Quand je pose ma tête Caillou en élan lancé Destin darbre hongrois Paris, mon maquis Notre cur saignant, délaissé Quatre, cinq têtes hongroises Ames au piquet Jours plus longs chaque jour Dans les jeunes curs jai vie Jaimerais quon maime Sur la couverture de mon livre |
La fuyante vie 1912 J'aimerais qu'on m'aime 1909 La fuyante vie 1912 La fuyante vie 1912 La fuyante vie 1912 Sang et Or 1906 Sang et Or 1906 Sang et Or 1906 Le poème de tous les secrets 1915 La fuyante vie 1912 Poèmes neufs 1905 Sang et Or 1906 Poèmes neufs 1905 Poèmes neufs 1905 Poèmes neufs 1905 Sang et Or 1906 Poèmes neufs 1905 Sang et Or 1906 Poèmes neufs 1905 J'aimerais qu'on m'aime 1909 Sang et Or 1906 Sang et Or 1906 La fuyante vie 1912 J'aimerais qu'on m'aime 1909 Poèmes neufs 1905 J'aimerais qu'on m'aime 1909 La fuyante vie 1912 J'aimerais qu'on m'aime 1909 Sang et Or 1906 |
Les poèmes en italique ont été retouchés peu ou prou par Robin dans son édition de 1951 au Seuil. |