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Armand Robin: témoignages

- Michel Ragon -

livrevieux.gif (469 octets) Dans le climat policier, revanchard, dictatorial de 1945, en un temps où, si l'Europe ne s'était pas partagée à Yalta (Staline abandonnant l'Europe occidentale aux Américains et se réservant l'exclusivité de l'orientale), il est certain que le parti communiste, alors si puissant, aurait pris le pouvoir et que nous aurions goûté en France aux plaisirs du goulag; dans cette perspective qu'il jugeait imminente, Armand Robin entrait à la fois en rébellion et en clandestinité.

Il s'était réinstallé dans le logement secret qu'il habitait pendant l'occupation allemande, considérant qu'une nouvelle occupation suivait la précédente. Très vite, me faisant confiance, il me donna l'adresse: 50, rue Falguière. Dès mon arrivée à Paris, je le rencontrai. Aussi hâtivement que je rencontrai Poulaille. Il me raconta sa vie, sa famille de paysans illettrés, les huit enfants au foyer, comment il n'avait parlé français qu'à l'école (on ne parlait que le breton, chez lui) ; comment, en 1929, il était entré en khâgne au lycée Lakanal, suivant l'enseignement d'un autre Breton, qui avait été boursier comme lui: Jean Guéhenno.

Polyglotte boulimique, entre dix-neuf et vingt-cinq ans il apprend les plus importantes langues européennes, dont le russe. Du long périple qu'il accomplit en U.R.S.S. en 1934, comme Panait Istrati, et pour les mêmes raisons, il devient désenchanté et violemment antibolchevique :

"L'arrivée des Allemands et l'avènement des totalitarismes hitlérien ou autres, m'ont donné, par réaction, le goût fanatique de vivre chez tous les peuples à la fois, de briser, au moins par l'esprit, toutes les frontières, d'échapper coûte que coûte à la prison où tous veulent nous enfermer, m'écrit-il.

"Je me trompe peut-être, mais il se peut que l'événement intérieur le plus important de ma vie, pendant ces dernières années, fût mon contact (fort malheureux) avec les milieux dits littéraires et les milieux mondains qui règnent sur la "vie littéraire". Je n'ai pu tenir devant tant de fausseté et j’ai tout envoyé promener, semant contre moi des haines implacables.

"Je fais une exception, une merveilleuse exception, c'est pour Guéhenno; celui-là n'est pas grimacier et il a gardé du peuple de quoi résister à tous ces gens.

"Je n'ai trouvé aucune paix depuis que j'ai quitté le peuple; je pense que cette vie tumultueuse et dispersée vient de là ; je comprends Rousseau et très souvent je pleure jusqu'au sang d'être devenu un poète."

Armand Robin avait élaboré une manière originale de gagner de quoi vivre. Il écoutait la nuit les radios étrangères et rédigeait un bulletin qu'il distribuait par abonnements. Avec la vingtaine de langues qu'il comprenait, notamment l'arabe, le chinois et le japonais, il se tenait toutes les nuits à l'écoute des informations et commentaires politiques, en faisant une synthèse et une prospective. Avant quiconque, il annonça l'ascension d'un responsable local du parti communiste russe nommé Khrouchtchev.

Nous nous rencontrions dans une arrière-salle d'un café de Montparnasse, Le Sélect. La tenue d'Armand Robin ne correspondait pas au débraillé de sa correspondance ni à la véhémence de ses écrits. Il avait l'apparence d'un employé correctement vêtu, cravaté, les cheveux bien peignés et courts, des lunettes banales. Il était également courtois, attentif. Le type même de l'individu qui ne se fait pas remarquer.

Toutefois c'est lui et non Poulaille qui, le premier, me conseilla de prendre contact avec la Fédération anarchiste, au 145 du quai de Valmy; et qui, le premier, me donna un numéro du Libertaire.

Au Libertaire, il se lia d'amitié avec Georges Brassens, qui assumait alors le secrétariat de rédaction du journal. Et la Fédération anarchiste publia en décembre 1945 ses Poèmes indésirables qu'il m'apporta auparavant sur des feuilles ronéotées.

Dédiés " à la mémoire d'Essenine et de MaÏakovski, assassinés par le régime réactionnaire bourgeois-soviétique ", les Poèmes indésirables s'ouvraient par un avant-propos inhabituel:

" La Pensée et la Poésie sont par nature indésirables... Ces poèmes sont, au nom des idées irréductiblement d'extrême gauche, un don du poète aux peuples martyrisés et en attente d'un plus grand martyre... Leur reproduction et leur traduction sont absolument libres pour tous les pays; aucun droit d'auteur; ces poèmes tombent dans le "domaine public" dès aujourd'hui; ils ne doivent être utilisés par aucun parti politique existant ou à venir... ils ne doivent servir aucune cause "nationale" ni aucune cause faussement "internationale", ils ne doivent être cités élogieusement par aucun journal, aucune radio, aucune "revue littéraire", bref aucun organisme officiellement ou officieusement chargé de tromper. "

Armand Robin prenait des précautions bien inutiles. En un temps où Staline, coiffé de sa casquette de généralissime, fascinait toute la gauche, où une véritable terreur stalinienne allait stériliser l'intelligentsia européenne, qui aurait pris le risque de louer des poèmes aussi nihilistes? On ne parlait que de "lendemains qui chantent" et Robin n'évoquait que des lendemains qui déchantent.

Il y a sur tout le pays une odeur de merde;
Tous les jours, un peu plus, il y a odeur de merde;
On tue un peuple chaque jour pour accroître la merde;
Des journaux de merde, des radios de merde, des affiches de merde
Avec de grands mots de merde annonçant des progrès de merde
Même nous, les travailleurs, on veut que nous soyons merde.

Pastichant le ton déroulédien des "poètes de la Résistance ", il écrivait:

Il n'y a plus de pensée, il n 'y a que des clairons;
Il n 'y a plus de poètes, il n 'y a que des Aragons.

 
  Ce témoignage est extrait du livre de souvenirs de Michel Ragon, D'une berge à l'autre, Albin Michel 1997