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Armand Robin : témoignages

- Jacques Chessex : à Lausanne -

livrevieux.gif (469 octets)Je le rencontrai pour la première fois à La Gazette, dans le fond d'un bureau où l'entourait beaucoup de monde. Il était penché sur un énorme poste de radio qu'il écoutait avec une extrême attention. Comme j'approchais : « C'est du chinois, me souffla-t-on, il va transcrire une émission de Mao ! »

Mais il se leva bientôt, boucla le poste d'un geste sec : « Ces gens racontent toujours la même chose », dit-il avec colère, plantant là public et transcription.

Nous sortîmes ensemble. Dans l'ascenseur, il m'expliqua qu'il savait plus de quinze langues et qu'à la R.T.F. il faisait métier d'écouter les programmes radiophoniques des pays communistes: « Mais tout cela m'assomme, m'avoua-t-il. Allons boire un verre. »

Une étonnante tournée de cafés commença..

Robin aimait beaucoup notre Vin blanc. Il demanda du Lutry. C'est un vin très frais, très vif, qu'à deux on boit par trois décis, comme le recommande un couplet de Lavaux (qui l'enchanta) :

Quand on est deux on boit trois,

Quand on est trois un demi.

Ainsi s'en va la minuit

Mais qu'un Pichet à la fois !

 

« Remettez-nous trois, criait Robin à la sommelière, adoptant fort bien nos coutumes, Mademoiselle, trois de Lutry ! » Comme je m’étonnai de son insistance à ne com­mander que du Lutry: « Mais c'est à cause de Mandiargues, me dit-il en riant. Il parle de ce vin dans son article sur Cingria, je veux en boire en son honneur ! »

A minuit, Robin fut très impudent.. Comme deux agents de police nous engageaient d'un ton rogue à quitter aussitôt un café qui fermait, il se dressa comme un diable et se mit a clamer les vers d'Essénine :

                  Je suis le dernier poète des villages

Mais déjà ces messieurs nous avaient pris au collet.. Robin refusait de donner son nom, les menaçait de toutes sortes d'interventions, protestait avec véhémence de son droit d'être en Suisse, parlait de permis de séjour, d'hospitalité proverbiale… Les agents n'en avaient jamais tant entendu. Eberlués, ils nous laissèrent enfin en paix et, se touchant le front d'une manière éloquente, nous engagèrent à circuler: « C'est pas chez nous qu'ils finiront, marmonnaient-ils dans notre dos, c'est à la Grande Cheminée ! »

 

La Grande Cheminée, dans l'argot cantonal, c'est le surnom de Cery, l'hôpital : sous bonne escorte, on y envoie les gens se désintoxiquer.

Jacques Chessex, NRF, 10/1961