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Armand Robin : témoignages

- Jacques Martin : Robin traduit Jirgal -

livrevieux.gif (469 octets)Armand Robin traducteur d'Ernst Jirgal pour le Numéro spécial Gide de la NRF de 1951 :

Il surgit un matin chez moi en tenue de bataille, le menton mal rasé, hérissé de poils dont le gris précoce faisait peine, mais encadré d'un col étonnamment blanc et si raide qu'il écartait son pull-over. D'un geste il aplatit la femme de ménage entre la porte et le mur et lança sur le divan une sorte de valise rouge et blanche, qui se révéla être un magnétophone. Il avait la démarche du saint Jean-Baptiste de Rodin : la droite levée et le coude gauche à angle droit, non pour évangéliser, ce qu'il eût réprouvé, mais dans l'attitude du paysan qui flatte d'une main l'encolure de son cheval et écarte du bras les gêneurs de la foire.
C'était quelque temps après la mort de Gide. Il apportait une ode du poète autrichien Jirgal en son honneur. « Paulhan m'a demandé de traduire ça. Je crois qu'on m'aime bien à la N R F». Par probité, il me priait de l'aider. Il déballa son magnétophone, un jouet tout neuf dont il était fier, car Robin aimait la mécanique autant qu'il la maltraitait. Micro en main et sous la surveillance de ses lunettes flamboyantes, je dus improviser une traduction de Jirgal.
Mes protestations n'y firent rien : c'était le jeu qu'il avait inventé et il y tenait. Et surtout rien d'écrit ! Il voulait avoir une impression auditive. Eut-il celle de la prosodie de Jirgal ou celle de mes hésitations ? Il me laissa tout de même recommencer. C'était un poème habile, non sans humour, et de pensée ferme, mais de densité médiocre et qui se donnait un air de simplicité lapidaire un peu joué. Le procédé de Robin pouvait donc se justifier. En a-t-il usé ainsi pour d'autres traductions, je l'ignore. Mais j'ai souvent eu l'impression que, dans ce genre de travail, l'oreille chez lui commandait le verbe : c'était seulement en second lieu, comme si les sonorités des mots et les inflexions de la voix jouaient un rôle de révélateur, qu'un sens se dégageait, en filigrane.
Robin boucla son magnétophone, partit en trombe et, à quelque temps de là, je vis sa traduction. A mon sens, il n'y restait pas grand-chose du rythme et de la diction de Jirgal. Tous les galets de la mosaïque y étaient, mais le dessin avait changé et c'était pourtant le même tableau du Jirgal suractivité, vitalisé, du Jirgal-jaguar, avec le mot emmerdeur en supplément, qui ne sortait pas plus de la plume de Jirgal qu'il n'entrait sans doute dans les goûts de Gide.
Pourquoi cet ornement Empire? Était-ce une gentillesse de Robin, l'encouragement du supporter au champion, ou une manière de prendre ses distances, de rompre le jeu, comme un comédien en scène améliore perfidement un texte qui n'a pas toute son adhésion? Quand il s'agissait de son travail, Robin observait une réserve de gentilhomme, ou d'inventeur d'élixir. Il exposait complaisamment les trouvailles de sa dialectique, ses paradoxes de dernière heure, mais l'origine de son herbier, son outillage, ses recettes restaient secrets, comme sa vie privée, à moins qu'il ne fît de ce métier une revue de carnaval, indéchiffrable au tiers.

 
       Ce témoignage de Jacques Martin, est paru dans la revue Cahiers des Saisons N° 36, hiver 1964. Camarade d'Armand Robin en Khâgne à Lakanal,  Jacques Martin  a été  professeur agrégé d'allemand au Lycée Voltaire et inspecteur général de l'éducation Nationale. Grand traducteur lui-même, il était aussi auteur de manuels scolaires et universitaires.