robin_index.gif (9504 octets)

chrono.gif (1744 octets) poesie.gif (2192 octets) roman.gif (1868 octets) traduction.gif (2450 octets) critique.gif (1979 octets) ecoutes.gif (2186 octets)
icono.gif (2534 octets) proses.gif (2040 octets) lettres.gif (2171 octets) theatre.gif (2064 octets) radio.gif (1706 octets) voix.gif (1867 octets)

Pasternak

biblio.gif (1004 octets)
temoins.gif (1901 octets)
contact.gif (1838 octets)

Armand Robin: l'oeuvre libertaire

*   Poèmes de Boris Pasternak, éditions anarchistes, 1946  *

AU LIEU DU TITRE DE PROPRIÉTÉ: « Tous droits de reproduction réservés ».

Le poème étant actuellement partout interdit, j'aggrave mon cas. Qu'importe ! Plutôt être tué sur place qu'obéir aux ordres du beau monde et des puissants.
Mû de pitié, j'ai vécu loin de moi quelques ans auprès de Boris Pasternak. Né dans une des classes sociales les plus fortunées, ce poète ne pouvait percevoir l'indicible martyre des travailleurs russes; là-bas, autour de lui, acharnée à sauver par tout moyen le vieux monde d'argent et de puissance, une nouvelle variété de grands messieurs se mit, scientifiquement, à appauvrir les pauvres, à mieux piller les pillés, à mieux torturer les torturés, à mieux assassiner les assassinés; tous les révolutionnaires furent bafoués. Plutôt que de céder, l'ancien monde tuait par millions les pauvres. Retiré dans un abri de diamant, Boris Pasternak ne s'occupa que de polir délicatement les facettes des mots; puisqu'il ne lui fut pas donné de voir et d'entendre, je ne peux l'admirer et l'aimer que tristement; du moins est-il innocent des hécatombes de prolétaires.
Ce travail poétique passe directement de mes mains dans le domaine public; aucun droit d'auteur; il ne doit être cité élogieusement par aucun journal, aucune radio, aucune revue littéraire, bref aucun organisme officiellement ou officieusement chargé de tromper; il ne doit être l'objet d'aucune approbation de la part d'aucun intellectuel à moins qu'il ne puisse prouver son absolue non-coopération avec toute forme d'oppression présente ou future; il ne doit être utilisé par aucun parti politique existant ou à venir et ne doit être diffusé qu'en dehors de tous les cadres du capitalisme privé et du capitalisme d'État. Une exception pourra cependant être faite pour les éditeurs qui, merveilleusement courageux, accepteraient de préle-ver sur leurs bénéfices la plus forte somme possible pour aider les révolutionnaires prolétariens, victimes de la bour-geoisie communiste.
Ayant eu la chance de naître parmi les ouvriers et les paysans, je serais le traître des traîtres si, jour et nuit, dans tous les domaines, je n'innovais pour me tenir en état de rupture avec un monde où il y a leur assassinat. Je dois me tenir à tout instant en état de récolter, souffrant au milieu d'eux, la moisson de tortures que ce siècle de chute, juste avant l'achèvement de sa chute, mûrit contre eux; les travailleurs de Russie, plus avancés que nous dans la connaissance de ce qu'est réellement le monde infâme où nous voici mi-vivants, SAVENT que, puisque la semence est mauvaise, puisque cette semence est faite de la haine du riche contre le pauvre, il n'y a plus d'autre récolte à attendre; ils se VOIENT assassinés dans la privation de toute espérance et de toute signification et ils perçoivent que leur assassinat va s'étendre à tous les autres peuples. J'accepte d'être assassiné au milieu d'eux.   
Sur toute la planète un énorme silence; des multitudes sans parole disparaissent; les regards ne voient plus et les oreilles n'entendent plus; les mensongers sont renommés seuls véritables; les purs sont proclamés impurs, les impurs sont décrétés les seuls purs. Partout, épais comme des monts, de gigantesques réactionnaires: ils fouettent les peuples et s'étonnent que les peuples crient: « Pourquoi nous châtiez-vous? » Ils ferment bruyamment le réel: « Vous avez assez vu, maintenant faites-vous esclaves ! »
Les pires des opulents proclament: « Nous représentons les malheureux! Qui défend contre nous les malheureux, nous ferons partout afficher qu'il est contre les malheureux ! » Il se répand parmi les gouvernants des nations une effrayante pestilence et tout homme qui n'a pas encore VU son assassinat tourne ses derniers regards vers l'énorme puanteur, s'encourage: « Comment aider à cette œuvre? Hâtons-nous de pourrir afin que nous puissions être honorés ».
Il faut que dès ce jour, sans attendre, dès ce jour même qu'est le jour d'aujourd'hui, tout soit fait pour que les temps puissent rouvrir. Tous les moyens doivent devenir absolument purs; une nouvelle semence doit être jetée par des mains qui ne sauront aucune ruse; une sainteté encore inouïe est à la veille de flamboyer. Je ne suis que l'un des miens sentant en tête des miens ce qu'on veut faire subir aux pauvres gens; je sais ce qui me serait donné si je vendais mon âme; si je trahissais les travailleurs, demain les maîtres me fêteraient, me décoreraient. Je n'ai d'autre mérite que de refuser cette séduction. Ou plutôt je n'y ai aucun mérite, car je ne fais que voir l'ÉVIDENCE : du fond de leur infini désespoir, les travailleurs de tous les pays demandent mutuellement que tout devienne non-intrigue, non-tactique, non-propagande, non--haine, non-vengeance, non-profil, non-calcul, non-désir de dominer, non-respect du succès, non-soif de récompense, non-souci des avantages et des intérêts, non-recours aux appuis, non-frisson devant les prisons, non-effroi au sein des effrois, non-mort au sein de la mort, non-ténèbre au plus ténébreux des ténèbres.
Et voilà pourquoi cet hommage à mon frère, Boris Pasternak, j'ai choisi de le publier avec des ressources provenant exclusivement de mon travail sous forme de don en faveur des hommes les plus rares: les authentiques révolutionnaires.
Armand Robin, Juillet 1946

Index des textes libertaires