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Armand Robin: à la gazette littéraire de Lausanne

- 1958 - Maïakovski - 1961-

 MAÏAKOVSKI SUR LA SCÈNE DE LUI-MÊME PAR ARMAND ROBIN

Vous, pouvez-vous saisir

Pourquoi me voici

Paisible

Sous l'orage des railleries,

Portant mon âme sur un plat

Au banquet des siècles à venir ?

 

ainsi débute la première oeuvre de Maïakovski, publiée en 1913 : le poète âgé de 20 ans ne pouvait guère annoncer avec plus de netteté qu'il voulait se voir en train de jouer sa vie sur des tréteaux. L'oeuvre, conçue sous forme dramatique bien que ce soit en fait un long poème lyrique, s'intitulait: « Vladimir Maïakovski » par Vladimir Maïakovski.

Elle fut jouée en 1957, au théâtre du Ranelagh à Paris et fut généralement accueillie avec ferveur. La pièce: La Punaise , que Maïakovski écrivit en 1928 et qui est actuellement représentée à Moscou et à Paris, est manifestement accueillie avec réserve.

Essayons de dégager les raisons de cette réserve.

Maïakovski n'était pas un homme de théâtre, au sens strict du terme: il était un poète, ce qui veut dire que son théâtre, c'était lui-même; pour parler son langage, les tréteaux pour lui, c'était son âme.

Or, entre 1913 et 1929, Maïakovski avait accepté de paraître sur des tréteaux qui n'étaient pas les siens: les tréteaux du communisme; il avait troqué son théâtre intérieur contre le théâtre extérieur du régime soviétique alors à ses débuts.

Certes, La Punaise est une protestation contre le régime soviétique; mais c'est une protestation relative en bien des sens: vers 1929, les écrivains et poètes russes perçurent qu'on passait du « communisme de guerre ", puis de la « NEP », à une industrialisation militarisée utilisant des moyens pharaoniques; ils furent saisis d'angoisse devant cette très dure société totalitaire qui déjà s'organisait dans l'ombre.

Ce fut à cette époque que Zamiatine écrivit son roman « Nous autres », roman d'anticipation qui ne put paraître qu'à l'étranger; c'est le premier en date de toute cette série d'ouvrages dont « Le meilleur des mondes" de Huxley et « 1984 » d'Orwell sont les plus connus.

Quand il se remit à une oeuvre théâtrale en 1928 pour exprimer son effroi devant ce qui s'annonçait, Maïakovski ne pouvait plus se retrouver sur la scène de lui-même, de lui seul, comme il s'y trouvait en 1913 ; il n'avait plus avec lui-même des rapports absolus, il n'avait plus que des rapports relatifs. Le sujet de sa nouvelle pièce n'était plus lui-même («Vladimir Maïakovski «  par Vladimir Maïakovski) mais ses rapports avec le régime qui s'installait en son pays. En outre, dans « La Punaise ", il imagina le Maïakovski d'après sa mort en le situant par rapport à cette société totalitaire: il en arrivait à installer sa vie éternelle dans le relatif. Dans « La Punaise », Maïakovski est constamment sur la scène des autres, alors que dans son admirable pièce de 1913 il est toujours sur sa propre scène. Il est à noter au passage que la pièce de 1913, à cause de son caractère absolu, est en fait bien plus prophétique que la pièce de 1929.

Que le public de Moscou connaisse un sentiment de soulagement en regardant « La Punaise » est bien normal; mais (si on accepte de voir les choses telles qu'elles sont) ils se comportent là comme se comportaient il y a quelques années certains spectateurs français devant le « Coriolan » de Shakespeare; cette pièce les vengeait, à leurs yeux, mais bien évidemment, ils ne pensaient pas plus à Shakespeare que Shakespeare n'avait pensé à eux.

Quelques lecteurs peuvent s'étonner de ce que nous nous mettions à parler de Maïakovski autrement que sur le ton « mystérieux » qui jusqu'ici était de mise pour les choses russes; c'est qu'à notre avis il serait grand temps de ne plus considérer sous un aspect mystique les écrivains, poètes et artistes qui ont eu à subir les bouleversements russes. C'est plus spécialement vrai dans le cas de Maïakovski, qui fut un « suicidé» de la «société communiste» puis fut tué après sa mort par Elsa Triolet. Il serait temps de s'occuper de son oeuvre et non pas de sa légende.

*

Nous aimerions vous présenter, pour illustrer ces quelques réflexions, un poème de Maïakovski où il se présente lui-même sur son propre théâtre, sans société, seul, ni victime ni complice.

Mais auparavant, il nous semble intéressant de souligner, à l'occasion de « La Punaise », un petit phénomène peu perceptible encore: l'insuccès croissant des « romans d'anticipation ». Ces oeuvres sont toutes semblables en ce sens qu'elles décrivent comme inévitable une société totalitairement mécanistique ; ils ont de la fatalité une conception robotesque et, croyant la combattre, ils y ajoutent un rouage: le rouage de « l'isolé social parfait » devenu objet de curiosité, nous disent-ils tous, pour la société future ; or cet « isolé social parfait » (aussi mythique que «le bon sauvage» de Jean-Jacques Rousseau)  apparaît, si on l'observe bien, non seulement très entouré, mais encore très adapté; sa solitude est tellement publique que tous vont la contempler ; les mères la donnent en exemple à leurs enfants le jour de la promenade sur la principale avenue de la cité; elle est une propriété de l'État, qui (ceci, les auteurs en question n'y ont pas pensé !) ne saurait tarder à mettre un impôt sur le plaisir que tous ont à le voir. Somme toute, «l'isolé social parfait» est une confirmation du régime dont il est censé être la négation. « L'isolé social parfait» est le moins seul des hommes, et même est le seul à ne pas pouvoir espérer avoir un jour une solitude.

Il est probable que beaucoup de lecteurs de ces ouvrages se sont rendu compte de cette faille. De surcroît, il existe peu d'êtres humains qui préfèrent la fatalité au libre-arbitre; ils prennent l'aspirateur pour nettoyer leur appartement, le mixer pour se faire des jus de carottes, mais ils ne mettent pas ces machines dans leur esprit, encore moins dans leur coeur: ils laissent le mécanistique dans la mécanique: surtout, ils ne croient pas qu'un homme se conserve dans un réfrigérateur.

La gêne ressentie à Paris devant « La Punaise » par les spectateurs les mieux disposés pour Barsacq et pour Maïakovski, gêne exprimée hâtivement par plusieurs critiques, doit tenir à ce fait très simple:

Dans sa pièce de 1913 Maïakovski était seul, seul d'une solitude métaphysique; il était d'autant plus seul qu'il ne cessait de crier: « Je suis vous tous! » Dans sa pièce de 1929, plus il crie qu'il est seul, plus il est le principal ornement de la société.

 

 

Cet article était accompagné de 2 documents :

 

  • Une traduction d’un extrait de Sur une flûte de vertèbres, tirée de Poésie Non Traduite

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  • Une photo prise au musée Maïakovski

lausanne_maiakovski_5.jpg (49598 octets)

 

Armand Robin, La Gazette Littéraire de Lausanne, 31 janvier 1959

 

 

L’ensemble, article de Robin et documents annexes, est consultable ici : https://www.letempsarchives.ch/

L’article de Robin figure dans Ecrits oubliés I Essais critiques de Françoise Morvan, éd UBACS, 1986.

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