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Armand Robin :
critique à la revue Esprit : 1937-1940

- Jean Marcel Bosshard Ces routes qui ne mènent à rien 05 / 1938 -

 

Jean-Marcel BOSSHARD : Ces routes qui ne mènent à rien Émile-Paul

Il est malaisé pour une pensée critique, même si elle se tient très près de la création, de soumettre à la stabilité d'un jugement, si provisoire soit-elle, cette œuvre où il n'est rien qui ne soit sans cesse en train de se défaire et ne finisse en fuite, errance, liberté. Bosshard manifestement appartient à ce groupe très restreint d'hommes pour qui la vie n'est plus qu'un beau prétexte, dans les deux sens du mot : camouflage de soi-même et prologue à un texte.

 

Le récit s'achemine prudemment vers l'effusion lyrique, monte vers un être en perpétuel devenir, échappe ainsi à toutes les servitudes des confidences trop douloureuses ; même dans les jours de la pire faim, « pendant que le bruit devient une présence », surgit déjà la certitude de se conquérir la joie, « cette joie qui maintenant me recommence ", proclame Bosshard à la page finale. Tous les chapitres prennent pour titre la substance de leur dernière ligne, s'impatientent de ne pouvoir se référer à cet avenir qu'ils retardent.

 

 

L'étrangeté de son aventure, Bosshard ne la sollicite que pour assurer à son errance des routes toujours fraîches ; cette discrétion nous délasse un peu de tant d'écrivains, qui remplacent le souci de leur conscience par le culte de leurs malheurs ; tour à tour livreur, magasinier, placier, plongeur, postier près du lac Tchad, marchand de bétail et millionnaire dans le Niger, pauvre bougre ruiné, étudiant à trente ans, professeur, écrivain enfin, Bosshard pouvait être tenté de s'arrêter aux limites de son propre récit ; mais à peine se soucie-t-il de l'étonnement d'autrui, il lui faut tant penser à devenir davantage une personne, il a tant de retard, semble-t-il crier partout.

L'art y gagne je ne sais quelle constance qui contraste avec la fièvre de cette course vers la connaissance de soi ; il s'est passé longtemps entre le besoin de se conter et la découverte du style. L' œuvre apparaît écrite sur plusieurs couches, créée à diverses profondeurs, de sorte que la résonance de l'ensemble finit par s'accorder avec maintes perceptions d'un même passé ; l'âme, à propos du même fait, se confronte plusieurs fois avec elle-même ; une sorte de convoitise du futur s'installe ainsi dans tout souvenir et le libère.

Ce sont là de réconfortantes surprises ; mais la plus réconfortante peut-être est de découvrir que cette Afrique noire a été pour Bosshard un lieu de fraternité ; les meilleurs d'entre nous n'osent pas y croire ; les plus humains des livres « coloniaux » n'accordent aux nègres que les prestiges du pittoresque ou de la candeur. Notre joie est d'autant plus grande devant l'amour de Fatou, d'une grâce et d'une richesse incomparables ; Bosshard a écrit là des pages qui méritent notre amitié à tous.

Armand Robin Esprit, mai 1938

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