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Armand Robin :

la poésie avant et autour de Ma Vie Sans Moi 

Prière Yggdrasill octobre 1937 - Volontés décembre 1938

                  

Armand Robin Yggdrasil
                    Prière
Armand Robin, Yggdrasill, N° 7, 25 octobre 1937. Pour en savoir plus sur les circonstances de la publication voir l'éphéméride à l'année 1937

Prière


« Mère, je reviendrai sitôt qu'un vrai sourire,

Tel un printemps grimpant aux arbres enneigés,

En mes yeux, où toi-même as mal, pourra fleurir

Et que tu pleureras de me voir enfin gai. »

 

« Mère, pourquoi prier ? Même quand l'homme est lâche,

Les dieux sont trop craintifs pour écouter ses plaintes,

Et, nouant droit contre eux ses ramures sans maître,

Ce chêne ose pour nous fouetter leur ciel qui passe. »

 

« Armand, peux-tu blesser Jésus si méchamment?

Il sourit de ta haine et peine pour ta grâce ;

Va, boude, et contre lui trépigne, pauvre enfant,

Il saura t'accabler d'amour quoi que tu fasses ! »

 

I

 

Jésus beaucoup trop bon,

Vous qui régnez en rouge aux vitraux de l'église

Avec un agneau qui vous aime

Et dans vos mains une belle fleur blanche

Qui ne pousse pas dans notre pauvre pays,

Je ne peux pas comprendre vos grandeurs, mais je sais bien

Que vous écoutez toutes nos paroles, sauf les mé­chantes,

Et que votre âme, qui a tout souffert, connaît la mienne.

 

II

 

Il faut me croire, bon petit Dieu,

S'il est si dur pour vous, c'est qu'il n'est pas heureux.

Il vit parmi des signes, très noirs, qui ont une vie

Et dont s'occupent les beaux messieurs très riches ;

Il les dessine sur du papier, le soir, sous notre lampe,

Et c'est tout tacheté comme une pomme de novembre.

Vous êtes bien témoin, je le grondais les premiers soirs :

« C'est mal, Armand, de ne pas aller dormir,

« De ne pas suivre cette ombre que Dieu nous donne

« Pour qu'entre lui et notre peine il n'y ait plus per­sonne. »

Mais il n'a pas voulu et maintenant c'est lui qui gronde :

Tout un vitrail de joie traverse nos pauvres murs,

Et, regarde, mère, il n'y a plus de lassitude,

Me dit-il sans bouger pendant que je tricote,

Mais moi je ne vois rien qu'un miracle bien triste

Et je m'en vais, toute petite, pleurer sur lui près des talus.

 

III

 

Jésus, qui fîtes mal de quitter votre mère,

Je crains pour lui de grandes choses inconnues,

Une maison couverte d'ardoise fine

Et, toujours assise, une femme coûteuse à nourrir.

J'entends des hommes se rassembler derrière son dos

Et bavarder de l'un à l'autre : Voilà celui qui nous étonne !

Et lui devra souffrir sans pouvoir dire un mot.

Oh ! même s'il semait ton nom sur les chevaux,

Je préfère qu'il siffle aux champs derrière la charrue ;

Il se consolerait dans les jours de coeur gros

Devant les champs de blé où nos efforts devenus tiges

Montent, porteurs de grand soleil et de fine terre,

Et, si je puis garder quelques sous en cachette,

Je lui ferais du chocolat aux grandes fêtes.

 

IV

 

Jésus, toujours si propre et si coquet,

Ma prière d'aujourd'hui n'a pas les doigts lavés,

J'ai dû beaucoup peiner dans l'étable, vous le savez,

Mais j'ai pu cependant changer de tablier

Et j'espère que je mérite d'être exaucée :

Il ne peut pas vous déplaire, puisque je l'aime tant ;

Vous étendrez partout sur lui votre regard

Qui est clair et vaste comme un village au printemps;

Vous le ferez vivre comme autrefois je le faisais dor­mir,

Semant à son insu mon souffle sur son front ;

Vous ne perdrez pas courage, s'il ne veut pas savoir

Que vous le bénissez de si haut, de si loin,

Et, s'il le faut, je vous demande de descendre,

Et de lui rendre sa solitude si profonde

Qu'il ne puisse en sortir qu'en passant près de vous.

 

V

 

Au revoir, bon Jésus, maître de mon village,

Car je n'ai pas le droit de tarder davantage :

J'ai volé ces minutes pour le conduire,

Oh ! Dieu, permettez-moi de n'avoir rien à dire,

Lorsqu'ils oseront tous à mon retour me maltraiter

Pour l'avoir trop longtemps regardé s'éloigner ;

Votre monde sera si terrible dans une heure ;

Tous m'y font de la peine, tant je suis pauvre et chétive,

Vous seul me saluez chaque dimanche

Lorsqu'au fond de l'église j'écoute votre grand'messe

Et vous vous penchez sur moi chaque fois

Que j'ose me pencher pour m'approcher de vous.

Bientôt je serai près de vous, si loin, si haut,

J'y choisirai les meilleures herbes pour votre agneau

Et je saurai le nom de votre belle fleur blanche.

Soudain les portes s'ouvriront, joyeuses, immenses,

Vous me sourirez comme vous m'avez souri déjà,

Mon âme bondira, je comprendrai qu'il va rentrer

Et tout mon corps luira si glorieux, si gai,

Que j'aurai honte d'être si belle pour la première fois.

Alors j'irai vers vous, Jésus, pour vous remercier,

Mais sans que je dérange personne sur mon passage.


Armand Robin Version Volontés décembre 1938


Poème écrit en décembre 1935 à Lyon, puis remanié ; dédié à Mme de Crépy le 20 mars 1938 : "ce brouillon, en regrettant que ce poème ne soit pas fait de plus de lumière"; envoyé à Jean Paulhan en août 1938, quelques jours seulement après une opération.Voir l'éphéméride à l'année 1938


 

     Poésie personnelle
          Ma Vie Sans moi